ABBEY ROAD: LA FABRICATION DES HUIT CHANSONS QUI PRÉCÈDENT LE MEDLEY

ABBEY ROAD: LA FABRICATION DES HUIT CHANSONS QUI PRÉCÈDENT LE MEDLEY

11 septembre 2019 1 Par Génération Beatles

Ce qu’il faut savoir sur chacun des huit titres: trois de John, deux de George, deux de Paul et un de Ringo. Un post spécial est consacré au medley

L’Apple des Beatles, pomme de l’inspiration plutôt que celle de la discorde

A l’heure où les plateformes de streaming permettent de composer ses propres play-lists, de supprimer (scandale !) un morceau d’un album, ou d’en rajouter (autre scandale !), c’est par leurs auteurs que nous abordons la présentation de l’album, à l’exception du medley, tant les enchainements méritent d’être suivis. Quant à l’ordre initial, chacun le trouvera facilement sur les-dites plateformes, et naturellement sur les CD et vinyles disponibles chez son aimable disquaire.

Si les compositions de Paul ou John sont toujours signés Lennon/McCartney, nous précisons toujours qui est le véritable auteur compositeur, même si tout au long d’Abbey Road les apports croisés se poursuivent et ont même été enrichis de l’aide des deux autres Beatles au compositeur initial, l’harmonie créatrice fonctionnant à plein.

La chanson de Ringo

John Lennon ayant rappelé qu’il n’était pas le premier Beatles à être arrivé sur terre, Ringo l’ayant précédé de trois mois, nous commencerons donc par le titre de l’ainé et batteur, une amusante chanson, Octopus’Garden, (Le jardin du poulpe) qualifiée parfois de comptine pour enfants écrite après avoir claqué la porte des séances d’enregistrement de l’Album Blanc : Ringo se détend en Sardaigne sur le yacht de son ami Peter Sellers. On lui sert du poulpe qu’il refusera de manger mais s’intéresse à la vie de l’animal dont on lui apprend qu’il se construit un jardin de coquillage devant son habitat. Un état d’esprit qui lui parle : sa chanson évoque les difficultés du groupe, et annonce d’emblée qu’il aimerait être au fond de l’eau et surtout avec No one there to tell us what to do / Personne pour nous dire ce qu’il faut faire. Une session de 32 prises (c’est plutôt une moyenne chez les Beatles) est enregistrée dès avril 69 avec les quatre Beatles à leurs instruments mais en l’absence de George Martin, prouvant qu’ils sont capables de se produire eux-mêmes. Le 17 juillet on enregistre les chœurs (George et Paul) et quelques ajouts de guitare (George) et piano (Paul). Le 18, Ringo enregistre de nouvelles voix et introduit de nouvelles séquences de batteries : la chanson est dans la boîte. C’est le deuxième et dernier titre écrit par Ringo pour les Beatles après le joli et triste Don’t Pass Me By de l’Album Blanc.

George confirme son génie créatif

L’une des révélations majeures d’Abbey Road est bien le niveau auquel George Harrison s’est hissé en tant qu’auteur et compositeur. La belle surprise de While My Guitar Gently Weeps de l’Album Blanc se confirme avec Something, l’une des plus belle du répertoire des Beatles.  Ecrite pendant les sessions de l’Album Blanc dans lequel elle ne trouva pas de place, Lennon-McCartney trustant presque tous les sillons du disque, George encore peu sûr de lui avait envisagé d’en confier l’interprétation à Ray Charles (qui l’intègrera à son propre album de 1971). Something est une révélation pour les autres Beatles et George Martin qui regretteront de n’avoir pas davantage « écouté » George. John considèrera d’ailleurs qu’elle est la meilleure d’Abbey Road. Quoi de plus simple : « Something in the way she mooves, attracks me like no other lover… » (quelque chose dans sa façon de bouger, m’attire comme aucune autre amante ?

Les Beatles travaillent ensemble sur Something dès les mois d’avril et mai, George perfectionne et utilise à nouveau une « cabine Leslie », sorte d’amplificateur dont les haut-parleurs, en tournant mécaniquement, donnent une profondeur à l’instrument. Plutôt utilisée en complément des orgues Hammond, la connexion de la Leslie à une guitare constitue encore une innovation. George prend de l’assurance et s’autorise même à demander à Paul d’alléger sa ligne de basse ! Du jamais vu…

Le travail et les enregistrements s’enchainent, Billy Preston assure le piano et l’orgue, George Martin dirige l’orchestre classique et Harrison assure en direct et en une seule prise le magnifique solo de Something.

Something, deviendra à son tour un titre de tous les records, deuxième chanson des Beatles la plus reprise, après Yesterday et se trouve aujourd’hui dans les vingt premières places des cent chansons les plus interprétées dans le monde. Ironie, à l’écoute initiale, beaucoup penseront que le titre est une chanson Lennon-McCartney.

Deuxième chanson de George sur Abbey Road, et tout aussi spectaculaire, Here Comes The Sun ouvre la Face B d’Abbey Road. Eric Clapton raconte que son ami George compose la chanson dans sa propriété du Surrey, lors d’une belle journée de printemps. La chanson se hisse elle aussi au niveau des meilleures compositions de Lennon-McCartney. Les jolis arpèges de George à la guitare, son travail à l’harmonium, au synthétiseur Moog, les harmonies vocales et la basse de Paul, le jeu de Ringo à la batterie, et son exceptionnelle maîtrise d’un tempo sophistiqué dès les premières prises (il n’y en aura que 15 au total), la voix de George qu’on entend presque sourire (the smiles returning to the faces, les sourires revenant sur les visages), Here comes the Sun est bien un chef d’œuvre de Beatles au sommet de leur art, et annonce une belle carrière solo pour George. Et tout au long de l’album, on se délectera de ses solos puissants et harmonieux.

L’apport de Paul

Indéniablement l’apport de McCartney à Abbey Road est d’avoir motivé toute l’équipe pour s’y lancer et d’avoir été moteur dans l’assemblage le fabuleux « Medley » qui conclut (presque) l’album en livrant des morceaux d’une richesse musicale exemplaire.

Cela nous coûte de l’écrire, mais de ses deux chansons « classiques » de l’album, Maxwell’s Silver Hammer est un cran en-dessous de ce à quoi Sir Paul nous avait habitué, même si cette chanson a le mérite de combiner une musique plutôt guillerette et l’histoire épouvantable d’un étudiant en médecine qui frappe ses victimes avec un marteau d’argent.

Mais ne gâchons pas notre plaisir, la composition de Maxwell’s tient la route, et ses paroles sont selon McCartney, inspirées par Alfred Jarry et le surréalisme : « Je suis le seul à avoir placé le mot pataphysique dans un disque entré dans les charts ». La chanson aura un autre mérite, celle d’utiliser une enclume pour évoquer le bruit du marteau d’argent s’abattant sur les victimes de Maxwell. Paul demande à Mal Evans, assistant et ami des Beatles, de louer une enclume. Ringo ne parvenant pas à soulever le lourd marteau, c’est Mal qui se chargera d’accompagner les Bang-Bang du refrain, avec quelques difficultés, n’ayant pas les compétences rythmiques d’un batteur.

John qui trouvait que c’était une nouvelle chanson de Paul « pour les grand-mères », à l’image d’Ob-la-di,Ob-La-Da ou Honey Pie (Album Blanc). Mais McCartney a toujours aimé les chansons populaires « des années 20 ».

Lennon ne sera pas aussi si critique à propos de Oh! Darling, dont il considèrera que c’est une des meilleures chansons de Paul, insistant tout de même sur le fait que cette chanson était plus calibrée pour sa propre voix et que sa prestation aurait été meilleure. « Mais, conclura-t-il, il l’a écrite, il l’a chantée, c’était la règle ».

De fait, Paul pour arriver à trouver cette fois éraillée, vient chanter au studio seul avant les enregistrements pour donner l’impression « d’avoir passé les dernières semaines en concert tous les soirs ». Résultat : un slow bien rock et une belle prestation de Paul au chant, avec une voix tour à tour chaude et grave, haute et saturée (« When you told me you don’t love me anymore… »). Encerclé par les autres exceptionnelles compositions d’Abbey Road ce bel hommage aux fifties ne pouvait sans doute pas devenir un tube planétaire.

John toujours innovant

Pas étonnant que Come Together soit retenu comme titre d’attaque d’Abbey Road. Il donnera sa texture exceptionnelle à tout l’album. Come Together commence par un souffle de Lennon qui lance un « Shoot Me » de sinistre augure. Sa voix claire et presque essoufflée accompagnée d’une ligne de basse inoubliable et d’un jeu parfait de Ringo emplissent la chanson qui s’étoffe en avançant : John ajoute la guitare rythmique et le piano électrique, George administre un solo superbe de maîtrise et de simplicité. Le son est exceptionnel et dans le studio l’enthousiasme est général. Pour la petite histoire, le tenant des droits de Chuck Berry intentera un procès au motif des similitudes avec son titre « You Can’t Catch me ». Un accord intervient avec John, qui ne sera pas tenu. Second procès… que Lennon gagnera. Initialement projet d’une chanson demandé à Lennon par l’écrivain Timothy Leary, pour sa campagne comme candidat opposé à Ronald Reagan, Come Together est finalement un enchaînement de paroles de non-sense comme Lennon les aime, malgré les multiples interprétations qui ont pu en être données. Seul le titre laisse peu de doutes quant à sa signification plutôt provocante et scabreuse.

I Want You, le deuxième titre de John qui clôture la Face Une répond à la double injonction de Lennon : exprimer la passion que lui inspire Yoko Ono, et que cette obsession soit matérialisée par un mur de guitares. En une douzaine de mots et près de huit minutes, le pari est tenu. Aux Beatles en grande forme vient se joindre l’excellent Billy Preston et sa belle partition sur orgue Hammond. A noter : ce sont deux versions dont les bases ont été enregistrées en avril qui composeront I Want You. La fin brutale du morceau est d’inspiration Lennoniene, John intimant à l’ingénieur du son : « Coupe ici ! ». Après le mur de guitares, le mur de silence conclut de façon efficace le titre et la Face A.

Ce 20 août, c’est aussi la dernière fois que les Beatles se trouvent réunis en studio.

Because: quand Lennon voit le ciel (d’Abbey Road) en bleu

Après Here Comes the Sun de George et avant le célèbre Medley, c’est Because qu’interprète Lennon, composé à partir de sa demande à Yoko (qui a reçu une formation de pianiste classique) de jouer les accords de la Sonate au Clair de Lune, mais inversés. Pour George, Because est le meilleur titre d’Abbey Road, et Paul n’est pas loin d’en penser autant : chez les Beatles, on vote rarement pour soi. George Martin propose d’écrire une harmonisation à trois voix pour les chœurs. On les recopiera trois fois, ce qui donnera un chœur à neuf voix. George Martin propose aussi d’accompagner le morceau par un clavecin électrique. John enthousiaste y trouvera la dimension classique de son inspiration originelle. Les paroles sont simples, « claires, sans imagerie, sans référence obscure » concluera Lennon. Le plus rockeur des quatre Beatles nous offre une ode tendre et émue à la nature « Because the sky is blue, it makes me cry… » (Parce que le ciel est bleu, ça me fait pleurer…).

A suivre : Le medley d’Abbey Road, après huit chansons, huit autres…