« LES BEATLES QUATRE GARÇONS DANS LE SIÈCLE », UNE BIOGRAPHIE RÉUSSIE PAR FREDERIC GRANIER
Vous cherchez une excellente biographie des Beatles ? La voici. Frédéric Granier en s’attaquant à cet Everest que constitue l’histoire du groupe le plus célèbre au monde parvient à nous livrer en 500 pages une riche biographie qui enrichit encore les connaissances du fan, tout en constituant une narration essentielle pour le simple amateur ou le néophyte qui veut comprendre cette histoire, son déroulement, ses protagonistes. Et qui nous apprend comment John, Paul, George et Ringo ont réussi à inoculer et à faire partager à des générations leur énergie et leur joie.
Emporté par l’enthousiasme que suscite naturellement la lecture d’un ouvrage consacré à notre groupe et à nos musiciens favoris, nous pourrions si nous n’y prenions garde, aller au-delà de la réserve qui sied au critique scrupuleux et pourtant désireux de partager la découverte d’une biographie digne d’intérêt, indispensable dirait-il sans retenue.
C’est donc muni de toutes ces précautions que nous nous sommes plongés dans la lecture de « Les Beatles Quatre garçons dans le siècle » (Editions Perrin) et que nous livrons quelques-unes des nombreuses informations qui fourmillent dans ce livre parfaitement documenté et qui n’oublie jamais, ce que fut et est encore l’apport du groupe de Liverpool, à la musique et à l’histoire à laquelle il participa, ou qu’il inspira, au moins pour quelques pages.
Des centaines de biographies
Bien sûr, il existe des centaines de livres sur les Beatles, parmi lesquelles de nombreuses biographies, en anglais surtout et quelques-unes traduites en français. Plus rares sont celles nées sous la plume d’un auteur français, même si nous n’oublions pas les travaux de Jacques Volcouve sur qui nous reviendrons un jour.
Quatre musiciens + un groupe + leur entourage
Pour Frédéric Granier, journaliste au groupe GEO, réussir cet exercice consistait à relater la vie d’un groupe en tant que tel, tout autant que celle des quatre individus qui le composaient. Une performance donc, car ramasser en si peu de pages la carrière d’un seul musicien créatif ayant marqué son siècle n’est pas simple, mais là, nul ne l’ignore, ils sont quatre. Et en tant que groupe c’est une entité supplémentaire qui se décrit et s’analyse. Sans compter que tous ceux qui comptèrent dans leur entourage nous sont dûment présentés et personne n’est oublié.
Bien décortiquées aussi, les relations plutôt magiques entre nos quatre quasi prolos de Liverpool nés dans les affres de la deuxième guerre mondiale et grandis dans ses décombres, comme les relations qu’ils entretiendront avec un monde – pas seulement musical- en plein bouleversement. Un monde dont ils ont durablement changé les pratiques ouvrant la voie à davantage de liberté pour les initiatives artistiques que le groupe enchaîna à foison et dont les plus marquantes nous sont rappelées.
Narration chronologique
Ayant fait le choix d’une narration chronologique, plus accessible pour le lecteur, nous est offerte une description précise qui ne se perd pas dans d’inutiles détails de leur enfance (voir aussi notre article : « C’est quoi une enfance de Beatles »), de leur carrière, de leurs premières armes comme musiciens, des premiers engagements au lancement sur la scène musicale des sixties et de la première période 62-64, jusqu’à la phase de production en studio qui leur permettra de nous offrir les titres et les albums les plus créatifs de l’époque…
La genèse de chaque album et des principaux titres de leur carrière, le rôle de chacun, exercice déjà vu, mais particulièrement réussi, notamment par la mise en avant de titres superbes et parfois un peu oubliés (ça existe ?), incite à les réécouter tour à tour, livre en mains, un exercice qui pourra aussi se faire avec le livre LES BEATLES, LA TOTALE de Jean-Michel Guesdon et Philippe Margotin (Chêne E/P/A) (voir ici), comme avec celui de leur ingénieur du son, Geoff Emerick et son indispensable « EN STUDIO AVEC LES BEATLES », (Éditions Le Mot et le Reste).
Comment son titre vient à un album
Un exemple entre mille : comment les Beatles choisissent le titre « Revolver » qui allait devenir l’un des disques les plus emblématiques de leur génération et un marqueur indélébile de l’apport des sixties à la musique. Conscients que leur album va provoquer un électrochoc, parmi les titres envisagés : Abracadabra (déjà pris), le Lennonien Four Sides of the Eternal Triangle, ou Colliding Circles (Cercles Carambolants). Et l’auteur de nous expliquer les raisons pour lesquelles le titre définitif sera retenu.
Si les albums, de Revolver à Let It Be, ceux de la maturité, sont judicieusement décortiqués, les albums précédents ne sont pas laissés de côté et Frédéric Granier nous rappelle les talentueuses pépites qui foisonnent aussi dans les disques de la première période. Surtout, il recense l’étonnante étendue des types de compositions qui jalonnent leur carrière. Sur le seul Album Blanc, voisinent quatorze styles différents : folk, rock, rock’n roll, Ska, Psyché, vaudeville, country, ballades, rythm’n’blues, avant-garde, comptines, blues… (page 373).
Beatles vs Rolling Stones, Lennon vs McCartney
Ici, une guerre soigneusement orchestrée par les compagnies et les medias. On le sait, même s’ils étaient en compétition, les Beatles et les Stones se voyaient et s’appréciaient, les premiers ont même livrés aux seconds, en panne d’inspiration, un titre pour leur deuxième single : « I Wanna Be Your Man » composé en moins d’une heure par le duo Lennon McCartney qui avouera : « On n’allait pas leur donner quelque chose de génial, non ? » (page 212). Le titre allait certainement contribuer à lancer les Stones qui seront toujours les bienvenus pour faire les chœurs sur tel ou tel morceau des Beatles, y compris lors de la première de All You need is Love, pour la célèbre émission de TV retransmise mondialement par satellite en juin 1967, auprès de 500 millions de téléspectateurs. Sur les Stones, Frédéric Granier livre un point de vue pertinent : c’est au moment où les Beatles se séparent que les Stones « sortent de leur chrysalide » et la voie étant laissé libre par leurs jeunes aînés, que leurs quatre albums chefs d’œuvre sortent, à partir de 1969 avec Let it Bleed.
Sur les relations entre les « deux meilleurs de leur génération » (dixit l’ancien directeur du quotidien Libération Laurent Joffrin amateur et interprète des Beatles), rien n’échappe à cette biographie, ni le génie de leurs compositions communes, et leurs apports respectifs, ni les tensions, ni la séparation, ni la réconciliation entre McCartney et Lennon avant l’assassinat de ce dernier.
Et aussi des films
Ici encore, Frédéric Granier montre à quel point ils ont changé les relations avec l’industrie de l’entertainment, imposant rapidement leurs points de vue et leurs volontés. Devenu un passage obligé depuis les navets d’Elvis Presley, un groupe comme les Beatles devait par contrat apparaître dans des films destinés à entretenir leur image et servir de support à leurs albums. Se pliant à l’exercice avec bonne volonté, tout en parvenant à faire exploser les codes du genre, ils ont réussi à rendre étonnants, voire détonants, les quelques films dans lesquels ils ont tourné, évitant les bluettes et préférant faire étal de leur énergie et de leur goût pour le non-sense avec pour point culminant l’étonnant Magical Mystery Tour, tourné pratiquement sans scénario. Ils sont les premiers à produire un dessin animé les mettant en scène, Yellow Submarine. On apprend aussi que le tournage du Seigneur des Anneaux, roman (déjà) culte de Tolkien avait fait partie des projets pour lesquels les Beatles étaient pressentis comme acteur. John Lennon se réjouissait à la perspective de jouer le rôle d’un Hobbit. Le projet fut abandonné, les moyens techniques requis pour les effets spéciaux n’étant pas à la hauteur du prodigieux roman. Nous étions donc trente ans avant le tournage de « La Communauté de l’Anneau » par Peter Jackson, la force de l’image des Beatles leur permettant d’être associés à de tels projets. Une parenthèse : Peter Jackson boucle ainsi l’histoire en reprenant les images tournées à l’occasion du film « « Let It Be » » sorti en 1970 et dont on nous promet que l’été prochain nous verrons de belles et nouvelles séquences (voir notre article sur le film GET BACK )
Peace and love, the war is over
Au fil de son ouvrage, Frédéric Granier nous montre comment les Beatles traversent leur époque, accompagnant et souvent devançant les mouvements de fond de la société.
Leurs prises de position étaient attendues particulièrement sur les conflits qui traversaient la décennie,
A propos de la guerre ou de la paix, Lennon, plus que ces trois camarades s’est exprimé, en déclaration comme en chansons, même si ce sont surtout ces dernières qui seront surveillés, notamment par la censure de la BBC, les titres des Beatles ayant parfois pour effet involontaire de se transformer en hymnes. All You Need Is Love accompagnera -un peu- le mouvement hippie, comme le firent les inspirations indiennes de George Harrison.
Sur le sujet de la guerre du Vietnam, ils étaient particulièrement attendus mais ne livrèrent pas grand-chose. Les atermoiements de Lennon sont éloquents dans le chanson Revolution dont il chantera deux versions, avouant qu’il n’était pas très sûr de lui. Ainsi, dans une première version : si tu parles de destruction, ne compte pas sur moi, puis dans la seconde… compte sur moi (count me out / count me in). La gauche marxiste reprochera aux Beatles ce comportement qualifié de petit-bourgeois apeuré.
Alors que bien au contraire, Lennon fera preuve d’un certain courage pour persister dans ces convictions : « Citez-moi une seule révolution qui ait marché » (Voir p.351)
Frédéric Granier nous livre une belle démonstration de la manière dont les Beatles ont entraîné l’Angleterre et au-delà, à se débarrasser des derniers oripeaux de l’ère victorienne, et mieux, la façon dont ils ont accompagné le monde entier à goûter les plaisirs d’une musique joyeuse, iconoclaste, sincère, talentueuse, bourrée d’innovations, tout en s’affranchissant avec humour et conviction des anciennes règles du business de l’entertainment.
Sur Spotify, 47% des auditeurs des Beatles ont de 18 à 29 ans
Décrivant les processus créatifs à l’œuvre, n’ignorant rien ni de leur génie ni de leurs faiblesses, nous avons droit à une observation détaillée de l’influence des Fab Four, qui dure bien au-delà de la courte décennie qui les a vu éclore et disparaître. Sait-on qu’en septembre 2019, cinquante ans après son édition originale, l’album Abbey Road a retrouvé la première place des charts britannique ? Sait-on que la plateforme de streaming Spotify a révélé que 47% des auditeurs des Beatles étaient constitué d’un public de 18 à 29 ans ? Comme Frédéric Granier le note dans sa conclusion, les Beatles sont donc « le groupe du siècle et au-delà ».
On découvrira un groupe plus révolutionnaire qu’on ne le croit, qui a tout bousculé sur son passage, depuis les pratiques musicales, artistiques, commerciales et industrielles. Et cela, tout en accompagnant, précédant ou stimulant les changements de la société durant leur brève décennie de vie et bien au-delà.
Un livre indispensable donc, qui nous rappelle que les Beatles, en funambules de la musique, surent tirer au-dessus des incertitudes des époques changeantes, des fils qui relient des générations, des époques, des continents, en nous inoculant grâce à des compositions devenues universelles leur énergie et leur gaité.