QUAND LENNON ET MCCARTNEY REPLONGEAIENT AUX SOURCES DU ROCK
Après la séparation des Beatles, Lennon puis McCartney, vont plonger aux origines du rock et nous livrer à quinze ans d’intervalle, deux albums éloignés dans l’esprit, si ce n’est que le rock des origines constitue le fil rouge de ces belles productions
La série de albums Anthology nous avait permis de mesurer à quel point les Beatles à leurs débuts et avant même qu’ils soient les Beatles avaient pratiqué les titres du rock’n’roll naissant des années 50. Leurs premiers albums Please Please Me et With The Beatles regorgent de compositions d’autres musiciens. A Hard Day’s Night sera le premier album 100% Beatles, mais dans Beatles For Sale en 1964, ils reviendront à leurs héros grâce à Kansas City, Mr. Moonlight, ou Honey Don’t et Everybody’s Trying to Be My Baby (Carl Perkins), et encore Chuck Berry avec Rock And Roll Music et Buddy Holly avec Words Of Love. On ne devient donc pas Beatles du jour au lendemain et pour nous en convaincre les deux leaders du groupe produiront bien après leur séparation des albums hommages.
Lennon ouvre la voix en 1975
C’est habituel, avec John Lennon les choses ne sont jamais simples. Accusé par Morris Levy, propriétaire des droits du titre You Can’t Catch Me de Chuck Berry, de l’avoir plagié en reprenant sur Come Together (Abbey Road) une suite d’accords et la phrase « Here comes old flat-top » (écoutez l’interprétation de Chuck Berry, elle est assez différente quand même, alors que dans celle de Lennon, on retrouvera la diction et les accents de Come Together). Lennon parvient à un accord avec Morris Levy : son prochain disque contiendra au moins trois titres dont les droits d’auteur iraient dans sa poche. Assuré d’une diffusion importante le plaignant accepte l’accord et Lennon décide de faire carrément un disque entier de reprise de rock. Nous sommes en 1975.
Pour la plupart, ces titres ont été interprétés par les Beatles, avant même qu’ils ne soient les Beatles, et à leurs débuts, à Hambourg ou à Liverpool. Pas de véritables nouveautés, Lennon se la joue tranquille. Enfin pas tout à fait. Non seulement il dispose des ressources des studios d’enregistrements des années 70 qui n’ont plus rien à voir avec celles qu’offraient les années 50, mais en plus il étoffe l’orchestration et les arrangements : Phil Spector n’est pas loin (voir notre post à l’occasion de son décès) mais cette fois nous ne serons pas critique, car le résultat est superbe, même si nous ignorons les influences respectives du producteur des Ronettes ou de l’ex-Beatles dans la production. D’autant que comme le signalent les auteurs de Number Nine, Hommage à John Lennon, Editions AO, voir ici notre compte-rendu de lecture), Phil Spector est parti au beau milieu des enregistrements avec les bandes sous le bras, laissant John aux consoles.
La voix de Lennon
Par-dessus tout, la voix de Lennon rend hommage aux morceaux qui firent de lui le musicien et le chanteur qu’il est devenu. A travers les choix de titres, il salue à sa manière les interprètes originaux et les auteurs compositeurs.
Le disque démarre puissamment par Be-Bop-A-Lulla de Gene Vincent, suivi par une bouleversante reprise de Stand By Me de Ben E. King où une fois de plus la voix de Lennon fait merveille, comme dans chacun des titres, alternant saturation âpre et effets d’écho qui contribuent à l’épaisseur des morceaux. La reprise de Peggy Sue fait la part belle à la batterie, comme dans l’original, et nous incite à revoir la jolie romance de Francis Ford Coppola, Peggy Sue Get Married, de 1986, même si le réalisateur d’Apocalypse Now aura pourtant préféré à cette version de Lennon l’une des nombreuses versions enregistrées par Buddy Holly et sortie en 1957, deux ans avant l’accident d’avion du 3 février 1959 qui causa sa perte (à l’âge de 22 ans) et celle d’un bon nombre de musiciens. Une date qui resta «The Day the Music Died ».
La pochette de l’album restera dans les mémoires : judicieusement Lennon va puiser dans les archives des Beatles : une photo de Lennon à Hambourg, et devant lui, floutés, sans doute McCartney, Harrison et Stu Sutcliffe (le bassiste original des Beatles, décédé en 1962, lui aussi à 22 ans…)
McCartney : que faire après le décès de Linda ?
Nous avons eu l’occasion de souligner dans GenerationBeatles.blog l’appétence de Paul McCartney pour les expérimentations et les innovations musicales, son dernier album (voir ici) n’en n’est pas exempt.
Cette fois-ci, c’est aussi un voyage dans des reprises de bons vieux rock’n’roll classiques des années 50, auquel Sir Paul nous a convié il y a vingt-deux ans..
Les années 90 avaient été largement consacrées à la réalisation du projet The Beatles Anthology, sur lequel Paul travailla avec George, Ringo et George Martin. Lennon n’était pas de la partie, on le sait, empêché par son assassinat en 1980, ce qui avait amené George Harrison à qui l’on posait la question, à clôturer le sujet de façon définitive : « Tant que John Lennon est mort, il n’y a aucune chance que les Beatles se reforment ». Le travail sur le projet Anthology avait aboutit à la sortie entre 1995 et 2000 de trois doubles CD de documents rares, d’enregistrements d’autres versions de leurs titres, d’essais, ainsi que d’un très beau livre.
Et que faire après Flaming Pie…
En 1997, Paul avait trouvé le temps de sortir l’excellent album Flaming Pie. En avril 1998, le décès de sa première femme, Linda, emportée par un cancer, le laisse très abattu et le renvoie une fois encore au décès de sa mère, d’un cancer, quand il avait quatorze ans. Il ne se sent absolument pas d’écrire de nouvelles chansons tant le drame semble le laisser face à une seule alternative : parler de sa peine ou la taire ?
On peut supposer que lui revient aussi le refuge qu’enfant, il avait trouvé dans la musique, enseignée par son père pianiste et trompettiste amateur. Une époque où commençait à arriver cette musique venue d’Amérique, le rock’n’roll, pour laquelle il s’enthousiasme et dont quelques années plus tard les grands tubes d’Elvis Presley, Little Richard et les autres, constitueront le fondement du répertoire des Beatles débutants et qu’ils joueront des heures durant, sur les scènes de clubs plus ou moins malfamés de Liverpool ou de Hambourg.
Approche originale : les faces B
Mais plutôt que l’exercice auquel s’était livré John Lennon en 1975 avec sa reprise de classiques du rock, justement mais sans excès de créativité nommé Rock’n’roll, McCartney va aller piocher dans les Faces B de ces succès et nous en livrer de superbes interprétations. Car l’album est simplement magnifique. Paul s’entoure de musiciens avec qui il a déjà travaillé, dont David Gilmour de Pink Floyd, les batteurs Ian Pace de Deep Purple et Dave Mattacks de Fairport Convention. Les enregistrements ont lieu à Abbey Road et Paul demande à l’ingénieur du son historique des Beatles Geoff Emerick, de se mettre derrière la console.
Le disque démarre par une superbe interprétation de Blue Jean Bop de Gene Vincent. Rien à voir avec le Be-Bop-A-Lula par lequel Lennon entamait son disque hommage, mais comme celle de John, la voix de Paul fait des merveilles. Suit All Shook Up d’Elvis Presley (que les Beatles adoraient et avaient rencontré une fois) et dont l’interprétation du King, malgré sa voix prodigieuse fait ressembler le titre à une promenade de santé, là où McCartney reverse la table. Les titres d’Elvis ont toujours inspiré la planète rock et on pourra écouter la version de ce titre par Robert Palmer et surtout celle de Suzy Quatro qui avec son groupe de Détroit exclusivement féminin (The Pleasure Seekers) fit de belles incursions dans le Glam Rock (écoutons aussi sa reprise de I Wanna Be Your Man des Beatles).
Paul compose trois titres, mais sa plus belle reprise laisse sans voix
Inspiré sans doute par la reprise de son activité, Paul compose tout de même trois titres d’inspiration rock’n’roll, dont le morceau qui donne son titre à l’album : on pourrait croire Run Devil Run sorti des platines des DJ des radios californiennes, ou des soirées étudiantes des années 60. Un régal. Try not to Cry, autre composition de l’ex-Beatles, renvoie à sa propre peine.
Mais le titre qui bouleverse tout le monde, est cette reprise du titre No Other Baby de Dickie Bishop dont Paul, tout en mesurant le potentiel mélodique, va transformer l’interprétation originale sautillante en un rock puissant bien épaissi par sa basse parfaite et les guitares et batteries de ses comparses. Évidemment entendre Paul chanter « I Don’t Want no Other Baby But You » et crier sa peine un an après la disparition de Linda, sur le même registre que la guitare de Gilmour a de quoi faire monter les larmes aux yeux.
Idem avec les autres titres, le disque témoigne aussi de ce que fut l’apport personnel de Paul McCartney au rock. Des guitares puissantes, menées par une basse redoutable, une voix claire ou parfois saturée et bourrée d’énergie, tout y est pour le bonheur de nos oreilles et de nos cœurs.
Lennon et McCartney dans deux albums indispensables à toute discothèque
Ces deux disques post-Beatles doivent impérativement figurer dans la discothèque de quiconque s’intéresse à la musique qui inspira les musiciens des années 60 jusqu’à maintenant.
Les deux musiciens les plus géniaux de leur génération nous entrainent dans un joyeux voyage au pays de cette musique qu’ils pratiquèrent à haute dose durant leurs quelques années de formation et qui les façonna en restant pour eux la plus belle source d’inspiration.
Pour des écoutes enthousiasmantes
Ces deux albums sont disponibles chez votre disquaire et sur les plateformes de streaming, Youtube foisonne d’excellents vidéos. En voici trois qui constituent une belle façon d’aborder le titre No Other Baby :
La version des années 50 de Dickie Bishop : https://www.youtube.com/results?search_query=no+other+baby+dickie+bishop.
Quelques secondes d’écoute suffisent, passez vite aux liens ci-dessous :
La vidéo officielle où on retrouve un McCartney qui rame sur sa petite barque entre requins, icebergs et tempête, avec pour seule compagne, sa guitare : https://www.youtube.com/watch?v=8jSn3–hE0M
Enfin, celle d’un des concerts qu’il donna (en particulier au Cavern Club de Liverpool, démoli puis reconstruit) avec un David Gilmour impeccable : https://www.youtube.com/watch?v=rYWCGceycSc
N’hésitez pas à faire des commentaires ci-dessous sur vos titres préférés de ces deux albums:
Deux beaux souvenirs des années lointaines qui m’inspirent quelques souvenirs et commentaires:
-Pour JOHN, cet album sera une quasi-renaissance après les années folles 1973 et 1974. Rock and roll est une vraie réussite, à tel point qu’il accepte, quelques jours avant la sortie du LP (nous sommes à l’ère des LPs) de commenter et promouvoir cet album et d’en parler un peu (ainsi que de Paul et des BEATLES) dans une interview de 25 minutes. L’album donne lieu à deux superbes vidéos LIVE (STAND BY ME et SLIPPING and SLIDING). N’oublions pas non plus que 1975 est l’année ultime pour un dernier concert auquel JOHN participe (18 avril 1975) en démarrant par SLIPPING AND SLIDING, et terminant par IMAGINE. Pour les fans de cet album, recherchez les sessions, diffusées depuis longtemps sur internet…
-Pour PAUL, ce retour est très réussi, car il s’est lancé dans un « come back » dix ans plus tôt, avec l’album presque confidentiel CHOBA CCCP, de 1987. Ce premier retour aux sources est produit rapidement, avec toutefois quelques morceaux bien envoyés (je sens que vous êtes déjà en train de le rechercher). L’album complet est aussi devenu une rareté (chut!).
Alors, RUN DEVIL RUN est vraiment excellent, tout comme les concerts de promotion que PAUL donne à cette période. Il s’offre aussi le luxe d’une version CD en deux albums (ah oui, on est à l’époque des CD) dont un dédié à un interview de 40 minutes, pour ceux qui recherchent les raretés.
Belle période pour Paul, où le voir jouer avec David GILMOUR est un vrai plaisir.
Bel article avant de sauter à la mer!
Régis
Merci Régis de ces commentaires utiles et comme toujours éclairés! Les lecteurs de GenerationBeatles.blog sauront certainement profiter de ces conseils.