C’EST QUOI UNE ENFANCE DE BEATLES

C’EST QUOI UNE ENFANCE DE BEATLES

19 septembre 2020 1 Par Génération Beatles

Tout le monde sait que les quatre Beatles sont nés à Liverpool en pleine guerre. Presque tout le monde sait qu’ils sont issus de milieux plutôt modestes. Ce que furent leurs enfances avec leurs joies, leurs peines ou leurs drames, leurs apprentissages de la vie et bien sûr de la musique est un peu moins connu. Retour sur la Beatles Childhood et ces années d’enfance qui les ont façonnés

Pete Townshend, leader des Who, musicien charismatique et théoricien du rock propose une vision intéressante sur cette époque de la vie : « On confond l’adolescence et l’enfance. L’adolescence est cruciale, mais parce que c’est le moment où l’on décide quelle proportion d’enfance on gardera avec soi pour le reste de l’existence.  La fonction d’un tube de trois minutes est très simple, concluait Townsend dans une interview à Yves Bigot (voir Rubrique Help, « Plus célèbres que le Christ) : c’est l’enfant en moi qui s’adresse à l’enfant qui est en vous. » Chez les Beatles, les joies et les drames de cette période laisseront des traces puissantes, que l’on retrouvera dans certaines de leurs chansons, de Let It Be à Mother, de Julia à Lady Madonna, nous en parlerons.

Naître dans une ville bombardée, dévastée

Naître et grandir en pleine deuxième guerre à Liverpool, la deuxième ville britannique la plus bombardée par la Luftwaffe après Londres, voilà qui pourrait laisser une empreinte indélébile. La situation portuaire de la ville et l’importance des flux maritimes depuis les Etats-Unis en avait fait une cible privilégiée de l’aviation allemande. Les bombes ravageaient les navires, les installations industrielles et les bâtiments civils.

Tirée de l’album consacré à George (voir plus bas), une des écoles de Liverpool après les bombardements de l’aviation allemande

La cathédrale fut éventrée et de nombreuses écoles furent touchées. Des dizaines de milliers de personnes se retrouvèrent sans domicile, plus de 3000 furent tuées. Les bombardements cessèrent en janvier 1942, avant la naissance de Paul et George mais les futurs Fab Four passèrent leur toute petite enfance dans une ville dévastée, quoique toujours debout. Ringo se rappellera qu’enfant, il jouait sur les décombres des bombardements et dans les abris anti-aériens. Se rendant à Liverpool en Mai 1941, Churchill déclare : « Je vois les dommages faits par les attaques ennemies, mais je vois aussi l’esprit d’un peuple invaincu.« 

La petite enfance de Ringo Starr entre maladies et apprentissage de la gentillesse

7 juillet 1940, naissance de Richard Starkey à Liverpool d’un père boulanger et confiseur. Comme le dira plus tard John : « Je ne suis pas le premier Beatles à être arrivé sur cette terre, c’est Ringo. » Sa mère s’appelle Elsie Gleave.

Les parents du petit Richard divorcent quand il a trois ans. Il vivra très mal cette situation et plus encore le fait qu’il ne reverra que très rarement son père, cinq ou six fois, reconnaissant que plus tard, il avait dû suivre une thérapie, « pour arriver à voir clair en moi-même […] Nous avons été la dernière génération à laquelle on a dit : Faites avec. » Ce sont ses grands-parents paternels qui s’en occupent, et à qui il voue une grande reconnaissance pour leur gentillesse à son égard. Il vivra la mort de son grand-père, alors qu’il a 19 ou 20 ans, comme « le jour le plus triste de [sa] vie. » Cette affection n’empêche pas sa mère d’enchaîner les petits boulots, « pour le nourrir et l’habiller. »

Du prolétariat au sous-prolétariat

Comme Ringo le dira : « Nous étions des prolétaires et à Liverpool, quand le père de famille partait, on tombait aussitôt dans le sous-prolétariat. »

Pour ne rien arranger, la santé du futur batteur est fragile, l’obligeant à passer d’hôpitaux en établissements de cures. Une péritonite à l’âge de six ans et des médecins qui annoncent trois fois de suite à sa mère qu’il n’y survivra pas… Au total, de pleurésie en tuberculose, Richard passera deux ans de son enfance à l’hôpital et manquera , entre maladies et convalescence, autant d’années d’école, et aucun instituteur pour l’aider… Il apprendra à lire à l’âge de 9 ans et reconnait toujours écrire phonétiquement, « ce qui était toujours un problème pour écrire les mots d’excuse après avoir séché les cours. John, lui avait fait du latin et pris de cours de peinture« , regrettera-t-il.

Ringo et sa mère, et en vignette, un ticket de visite à l’hôpital émis lors d’un des nombreux séjours de Ringo, (tiré de l’Album Anthology, ci-dessous)
Le très beau livre Anthology est construit à partir d’interviews des Beatles qui en près de 400 pages très illustrées, détaillent leur enfance, leur adolescence et leur vie de Beatles

En 1951, sa mère, Elsie se remarie avec Harry Greaves (ne pas confondre avec Gleave, son nom de jeune fille) qui travaillait comme peintre et décorateur dans une base de l’armée américaine. Harry l’instruit de la musique (jazz, big band…) « sans jamais rien m’imposer » dira-t-il en précisant qu’Harry lui a aussi enseigné la gentillesse. Avec ses grands-parents, dotés des mêmes qualités, on ne s’étonnera pas du caractère de Ringo.

John Lennon : interruption des bombardements pour sa naissance

9 octobre 1940, naissance de John Winston Lennon, entre des séries de bombardements de la Luftwaffe. La nuit de sa naissance, pur hasard, les bombardiers allemands ne passent pas au-dessus de Liverpool. Pour autant, les premières années de John ne seront pas très gaies. Non seulement la guerre est très présente (Give peace a chance, chantera-t-il…), mais son père est plus occupé à bourlinguer sur les mers comme steward.

Sa mère, Julia, quant à elle, considère que sa sœur Mimi ainsi que ses beaux-parents sont parfaits pour s’occuper du garçon, comme ses beaux-parents. Auprès d’eux, il trouvera un peu plus d’affection.

Au verso de la pochette de l’album post-Beatles, dans lequel il chante Mother et My Mummy’s Dead, cette belle photo de John enfant

Les origines irlandaises de John sont établies. Comme beaucoup d’habitants de Liverpool d’origine irlandaise qui n’avaient eu qu’à traverser le bras de mer qui les sépare de l’Angleterre pour fuir la misère, voire la famine, les réunions dominicales, familiales ou de voisinage, s’achèvent souvent en musique et en chants d’origine celtique (Voir Les liens de Lennon et McCartney avec l’Irlande et sa musique…)

Les parents de John absents mais grâce à Mimi, une vie plutôt bourgeoise

Drôle d’enfance que celle de John. Son père Alfred est donc absent, servant dans des compagnies maritimes qui assurent le transport de passagers entre l’Europe, les Etats-Unis, l’Amérique latine ou en Méditerranée et se retrouvant pour quelques mois en prison après des bagarres entre ivrognes. Ce casier judiciaire lui empêchant définitivement de reprendre la mer, la seule eau à laquelle il put accéder sera celle de la plonge des restaurants.

Julia, sa mère, est partagée entre le désir de bien faire et son sentiment d’être incapable d’élever le petit garçon. Julia vit avec un homme à peu près gentil sauf quand il a bu et elle se retrouve régulièrement battue. Julia est issue d’une famille de cinq filles, dont l’ainée Mimi, a toujours considéré que son rôle était de contribuer à l’éducation de ses quatre sœurs, ce qu’elle a d’ailleurs réussi pour peu que l’on prenne comme critère les mariages plutôt bourgeois de ses sœurs, Julia constituant une exception. Observant celle-ci incapable d’offrir un John un foyer tranquille et serein, et se pensant peut-être dans l’incapacité d’avoir des enfants, Mimi œuvre pour obtenir la garde de John. Son mari, fermier producteur de lait, leur permet de vivre dans une maison qui serait presque un petit manoir, où restaient encore les sonnettes qui avaient jadis permis à la domestique de localiser la pièce où elle était requise, comme dans la très british série Downton Abbey.

Quant à Julia, lorsqu’en juin 1945, nait son second enfant, une fille qu’elle prénommera Victoria Elisabeth, elle préfèrera la faire adopter par un couple de Norvégiens qui l’emmenèrent chez eux, à jamais. John fera sa connaissance tardivement.

A la différence des futurs autres Beatles, John aura eu une enfance économiquement bourgeoise mais déchirée par l’absence de ses parents. Il vécut des épisodes douloureux lorsque ses parents décidèrent de se séparer et pire encore lorsque son père demandera au petit garçon de choisir entre sa mère et lui, lui infligeant une scène aussi cinématographique qu’ignoble, nous y reviendrons…

John a toujours mesuré l’importance de Mimi dans sa vie et lui restera éternellement attaché, comme à ses grands-parents maternels qui lui offrirent un véritable environnement familial et des cousins avec qui John ne perdra jamais le contact. Mimi était infirmière comme la mère de Paul, Mary et comme elle, avait obtenu un diplôme d’infirmière en chef de l’hôpital.

Paul McCartney : la famille la plus pauvre des Beatles

18 juin 1942, Paul nait d’un père, Jim, lui-même d’une famille de sept enfant et qui raconte que dans son enfance, très pauvre, il n’y avait que deux paires de chaussures, l’une pour les garçons, l’autre pour les filles. La fratrie se rendait à l’école à tour de rôle, l’heureux écolier du jour ayant pour tâche d’apprendre à ses frères et sœurs ce qu’il avait retenu des enseignements. Jim dont tout le monde s’accordait à reconnaître une grande gentillesse et beaucoup de courtoisie malgré cette enfance difficile, se fait embaucher comme coursier chez un marchand de cotons (Liverpool en pullulait, le coton d’Amérique ou d’Asie étant débarqué dans le grand port anglais). Il progressera dans l’entreprise jusqu’à devenir vendeur. Jim se découvrira des dons musicaux et, en autodidacte, apprit le piano et la trompette allant jusqu’à former avec un orchestre semi-professionnel.

L’hommage de Paul au soignants en pleine crise sanitaire

La mère de Paul, Mary Mohin est, elle aussi, d’origine irlandaise. Son père, qui avait transformé son nom original de Mohan, « pour faire moins irlandais« , est livreur de charbon et sa mère décède quand Mary a dix ans. On l’a dit, Mary deviendra infirmière puis infirmière en chef à l’âge de 24 ans. Comment s’étonner qu’en pleine crise du Covid 19, McCartney, depuis chez lui et accompagné de son seul piano électronique, interprète un Lady Madonna simple et ému qu’il dédie à tous les personnels soignants, et en particulier aux infirmières.

Les parents de Paul, Mary et Jim donc, se rencontrent dans un abri anti-aérien en plein bombardement allemand. Ils se marient en 1941, âgés respectivement de 31 et 37 ans, ce qui était tard pour l’époque. James Paul, qui utilisera son second prénom pour la vie, est leur premier enfant. Un autre garçon Michael, qui deviendra aussi musicien, suivra en janvier 1944.

Paul raconte que le souvenir marquant de sa petite enfance est d’avoir eu froid et évoque la Sibérie. Les McCartney étaient sans doute la famille la plus pauvre des quatre futurs Beatles.

George Harrison : une fratrie de quatre et des logements sociaux, comme les McCartney

25 février 1943, George Harrison est donc le dernier Beatles à arriver sur terre. Dernier d’une fratrie de quatre, sa sœur aînée a douze ans de plus que lui et ses deux frères naissent en 1934 et 1940. Son père Harold, après avoir travaillé en tant que steward pour des compagnies maritimes, comme le père de John, devient conducteur d’autobus.

Ne ratez pas ce très beau livre, réalisé sous la houlette d’Olivia Harrison, sa deuxième femme, il est plein d’anecdotes et de touchantes photos inspirantes et dont quelques unes sont rapportées ici

Sa mère, Louise, est irlandaise, French de son nom de famille – décidément chez Les Beatles, L’Irlande n’est jamais très loin – et travaille comme employée de commerce. Comme Paul, la petite enfance de George n’est pas miséreuse, mais sera marquée elle aussi, par le froid dans leurs lieux de vies. Comme Paul, sa famille vit dans des logements sociaux. La mère de George raconte qu’inscrite sur une liste pour obtenir un logement plus grand, ils finissent par obtenir en 1949 une maison dans le quartier de Speke, encore un chantier en construction, sans route et « avec deux pieds de boue partout. »

Paul et George, voisins et amis

La famille de Paul y passera aussi quelques années, c’est là qu’avec George ils feront connaissance, empruntant chaque jour le même bus pour se rendre à l’école. En 1955, la mère de Paul, Mary McCartney, particulièrement appréciée de ses employeurs de l’hôpital où elle exerce comme infirmière en chef et sage-femme, obtient la possibilité de louer une maison dans le quartier d’Allerton et dans un ensemble de logements sociaux. Paul se souvient que c’est le premier logement des McCartney à bénéficier de sanitaires à l’intérieur.

Au sortir de la guerre, Liverpool est déchiquetée mais les quatre garçons garderont de bons souvenirs des parcs où les familles se retrouvent en fin de semaine pour des pique-niques et des soirées où tout le monde se retrouve pour chanter. Paul raconte que toutes ces chansons reprises en chœur, classiques, folkloriques ou plus récentes, ajoutées aux brèves tentatives de leçons de piano de son père, lui ont imprégné le cerveau dont sortent les mélodies qu’il invente. 

John hiérarchisera la modestie de leurs milieux d’origine respectifs : « J’étais un petit banlieusard bien propre sur lui, et dans l’échelle sociale, j’étais un demi cran au-dessus de Paul, George et Ringo qui vivaient dans des HLM. On avait notre maison à nous et pour voisins des médecins et des avocats. J’étais un privilégié par rapport à eux. Et Ringo venait du quartier le plus pourri. » Et de conclure : « Il s’en foutait, il s’amusait probablement plus là-bas. »

Les tour operators qui organisent des visites de Liverpool n’hésitent pas à passer par certains des lieux emblématiques des Beatles childhoods.

Les souvenirs de John, une enfance entre douleur et bonheur

Étonnant Lennon, complexe et touchant : il confesse que la pire des douleurs est de n’avoir pas été désiré. « Quand j’étais enfant, rapporte l’album Anthology, ce manque d’amour m’entrait dans les yeux et dans l’esprit. La seule raison pour laquelle je suis une star, c’est ma frustration. Je n’aurai pas eu la force de vivre tout cela si je n’avais pas été « normal ». »

Et dans le même temps il célèbre les cinq femmes qui ont accompagné son enfance, dont sa tante Mimi, et même sa mère qu’il voyait de temps en temps et dont il réalisera seulement plus tard qu’elle vivait à dix ou quinze kilomètres de lui. « Parfois, continue-t-il, je me sentais soulagé de ne pas avoir de parents. Les crânes de la plupart des parents de mes copains étaient truffés de ridicules terreurs petites-bourgeoises. Le mien était plein de mes propres idées. » Mais il conclut : « J’ai eu une enfance heureuse et saine à Liverpool. »

Lennon déchiré et qui poussera McCartney à choisir

Profitons-en pour rappeler ce double trait de caractère de Lennon, la difficulté de choisir et la terreur de l’abandon. Enfant, une scène calamiteuse lui est infligée par son père Alfred qui, ayant quitté le foyer familial, revient le chercher pour l’emmener, ce que refuse la mère de John. Alfred demande alors au petit garçon de choisir. John raconte qu’il faisait un pas vers son père puis se retournant vers sa mère courrait vers elle, ne sachant comment il pourrait choisir. Un des moments les plus horribles de sa vie.

La personnalité de John sera durablement affectée par cette scène calamiteuse. Il ne pourra s’empêcher de reproduire ce comportement. Une occasion au moins est connue. En effet, quelques années plus tard, les futurs Beatles sont devenus des adolescents qui vivent essentiellement pour la musique et le rock. La scolarité de Paul McCartney se déroule assez mal, tout absorbé qu’il est par la musique et le groupe de John, les Quarrymen. Son père Jim McCartney, lui ordonne de quitter la maison et de trouver un travail, ce qu’il fait, comme balayeur de la cour d’une usine. Son employeur le repère et commence à le faire monter en grade, jugeant que ce gamin prometteur pourrait un jour devenir cadre de l’entreprise. John de son côté veut se dédier au groupe. A son tour, à l’instar d’Alfred Lennon des années plus tôt, mais bien plus amicalement, il va demander à Paul de choisir entre les injonctions de son père et la musique. En quelque sorte, c’est Jim ou John ! Heureusement pour la suite de l’histoire, Paul n’hésita pas à braver les probables reproches paternels. Encore une chose qu’il doit à John.

On pourra aussi voir une répétition du drame dans la valse-hésitation de John qui décidera de quitter les Beatles, tout en ne voulant pas qu’on l’annonce, et tout préparant un album solo. Et tout en entrant dans une colère noire lorsque Paul annoncera la fin du groupe.

Trois Beatles dans une école primaire

John, Paul et George se retrouvent à l’école primaire de Doverdale Road, mais différence d’âge faisant, seuls Paul et George se lieront. Chaque jour, pour se rendre à l’école ils prennent le même bus et découvrent leur intérêt commun pour la guitare et le rock’n’roll. Paul parle d’une ambiance à la Dickens, très vieillotte, qui ne donnait qu’une envie, partir ailleurs. George n’aime pas l’école, s’assoit toujours au fond de la classe et remplit ses cahiers et ses livres de dessins de guitare et de motos de courses. Nous avons vu le peu d’appétence pour l’école d’un Ringo malmené par sa santé et un système éducatif mal dimensionné pour des garçons de son espèce.

John aux Beaux-Arts

Après l’école primaire, vient le temps de la Grammar School. George passa avec succès l’examen d’entrée au Liverpool Institute, comme Paul. John, leur aîné fit le choix des Beaux-Arts quand eux étaient encore au Liverpool Institute (en gros, l’équivalent du collège français).         

Pour John (comme pour Paul), les enseignants avaient décelé un garçon intelligent, vif, quoiqu’un peu fantasque et original en particulier quant au sujets des dessins. Dans l’un d’eux, représentant un Christ barbu et aux cheveux longs, certains reconnurent le Lennon émacié et barbu qu’il fut quelques décennies plus tard.

« On his own write » est toujours disponible et à l’époque, la préface de « Sir » Paul était déjà écrite par son complice qui n’était pas encore anobli

Tout le talent graphique et poétique de Lennon se trouve déjà dans un petit livre publié en 1964, deux ans à peine après les premiers succès des Beatles et dont Paul écrira la préface. Même s’il a « déjà » 22 ans, lorsque sort de livre, il y a longtemps qu’il dessine. Bourré d’argots, de jeux de mots et de non-sense, « On his own write » qui parût en français sous le titre  «Après l’école », est aussi une belle illustration des talents de dessinateur de John. Quand on est dans une école d’art, comment s’étonner qu’on s’intéresse de très près aux pochettes de ses albums. Paul avait aussi un véritable talent de dessinateur, détestait les Maths et s’intéressait à la littérature anglaise. Par contre, personne ne décèle leur appétence pour la musique. Il est vrai que le rock, le skiffle ou le blues américain étaient loin d’avoir conquis leurs lettres de noblesse dans les systèmes éducatifs anglais.

George dessinait des guitares sur ses cahiers d’écoliers, loin de se douter qu’il allait devenir un des guitaristes les plus brillants de sa génération et un des musiciens les plus connus au monde

A côté de l’école

C’est l’époque des vacances en stop, guitare (déjà) en bandoulière on visite la région ou le Pays de Galles et on envoie des cartes postales aux parents. On en trouve quelques reproductions touchantes dans les publications comme l’album consacré à George : « Living On The Material World ».

Paul et George écrivent à la mère de ce dernier, lors d’une ballade aux Pays de Galles. On les imagine faisant du stop, guitare en bandoulière. ils ont 16 – 17 ans

C’est aussi les achats des premiers disques, même si ça coute un peu cher, alors on se débrouille. Ringo se souvient que l’activité portuaire de Liverpool employait de nombreux marins, presque un dans chaque maison. Les allers-retours avec l’Amérique leur permettaient de rapporter des disques de la Nouvelle Orléans, de New York. Une culture musicale bricolée mais efficace. Plus que les autres gamins anglais, les enfants de Liverpool connaîtront le répertoire rock et blues de l’Amérique des années 50.

C’est surtout l’achat des premières guitares, de veilles occasions acquises pour trois sous, qui vous lâchent rapidement mais qui permettent d’assouvir des passions naissantes et d’échanger des conseils, se refiler des accords qu’on reproduit consciencieusement dans les cahiers de mathématiques. Et surtout, on commence à jouer ensemble.

Entre les bagarres et l’usine, Ringo choisit la batterie

Ringo a arrêté l’école à l’âge de 13 ans. Il commence à jouer de la batterie, à l’âge de 14 ans. Où ? A l’hôpital bien sûr, où on prodigue aux enfants quelques cours d’initiation pour les distraire.

Quand il n’est pas à l’hôpital, avec quelques copains, Ringo tombe régulièrement sur des bandes qui les recrutent pour aller en affronter d’autres. Souvent les bagarres sont violentes : « J’ai vu des gens perdre leurs yeux, des gens poignardés, d’autres frappés à coups de marteau. » Heureusement pour lui, s’il admet ne pas être un grand bagarreur, il sait qu’il est un bon sprinter….

Plus tard, sa petite amie lui demanda de choisir entre elle et la batterie. Remercions-la de cet ultimatum. Et pour le choix qu’il fit, remercions le jeune Richard, débutera une carrière de semi-professionnel, tout en travaillant à l’usine.

Les quatre futurs Beatles, prérogative de la plupart des enfances, gardent de cette période des souvenirs plutôt heureux, malgré deux drames similaires, que vont vivre les musiciens rock les plus brillants de leur génération, peu après la sortie de leur enfance et sur lesquels il faut ici revenir.

Les décès des mères de John et Paul : un cancer et un flic

La perte prématurée de leurs mères est un évènement de plus qui unissent John et Paul.

A l’été 1956, Paul a 14 ans et avec son frère, ils partent comme chaque année dans un camp de scouts. Paul racontera que l’expérience lui aura appris à s’adapter à toutes les situations difficiles, en gardant toujours espoir et un moral d’acier (voir son séjour dans les prisons japonaises)

En août, revenant de leur camp, ils ne remarquent pas que la santé de leur mère s’est dégradée. Admise à l’hôpital, on lui diagnostique un cancer du sein, trop avancé pour qu’une opération soit possible. On cache aux garçons la gravité de maladie mais Paul, observateur n’a pas de doute. La « Mother Mary » de Let It Be s’éteindra le 31 octobre 1956 à l’âge de 47 ans, laissant un mari dévasté et deux enfants, dont l’aîné dira plus tard qu’il était fou de chagrin mais déterminé à ne pas se laisser abattre et à se doter d’une carapace. Ce qui éclaire singulièrement la réaction apparemment distante enregistrée par les micros et les caméras des journalistes qui vingt-quatre ans plus tard lui demanderont un commentaire sur l’assassinat de John (voir notre post sur l’assassinat de John Lennon). La carapace est à l’œuvre et Paul en aura besoin à d’autres occasions.

Le policier qui renverse la mère de John

A l’été 1958, cela fait un an que John et Paul se sont rencontrés. Lennon trouvant le jeune Paul (dix-huit mois les séparent) plutôt talentueux, l’a accepté dans son groupe, The Quarrymen. Ce 15 juillet 1958, John n’a pas encore 17 ans et Julia, sa mère, vient leur rendre visite, comme elle le fait maintenant plus régulièrement, la relation mère-fils ayant pris un tour plus apaisé. Mais John est parti pour l’après-midi et ne verra donc pas sa mère. Après un moment passé avec sa sœur Mimi, Julia quitte la maison et se fait renverser par une voiture. Une ambulance arrive rapidement et l’emmène à l’hôpital, où les médecins ne pourront que constater le décès. Voilà qui nous rappelle les dernières minutes de John.
John revient à la maison et un peu plus tard, c’est un policier qui vient lui apprendre le décès de sa mère. Un taxi le conduit à l’hôpital où il n’aura pas la force d’aller voir sa mère. Plutôt que de rentrer à la maison, il fonce retrouver sa petite amie. Ils se rendent tous deux dans un parc voisin pour pleurer ensemble. Tard dans la nuit, rentré chez lui, John jouera de la guitare devant le porche de la maison de Mimi. Le jour de l’enterrement il passera sa journée à pleurer, la tête sur les genoux. On ré-écoutera la magnifique ballade de l’Album Blanc « Julia » : When I cannot sing my heart […] So I sing a song of love, Julia.

On apprendra que le conducteur de la voiture était un policier non encore titularisé, et qui n’aurait pas dû se servir de la voiture du bureau, qui plus est, un peu trop vite. La police conclut rapidement à un décès accidentel. La colère que John manifestera parfois à l’égard des forces de l’ordre trouve-t-elle ses racines dans ce drame ?

On s’asseyait et on pleurait un bon coup ensemble

A presque 40 ans et dans deux chansons de l’album Imagine, Lennon exprimera la douleur due au peu de relations qu’il eut avec sa mère, dans « Mother » (You had me but I never had you) et en huit lignes dans une très minimaliste « My Mummy’s dead » sa disparition qu’il chante, enfant inconsolable qu’il est toujours, accompagné de sa seule guitare, comme il le fit peut-être ce 15 juillet 1958.

Paul racontera bien plus tard, que dans leur complicité, ils ne pouvaient montrer leur chagrin à personne, que l’un à l’autre : « Et quand le drame revenait nous poignarder, on s’asseyait et on pleurait un bon coup ensemble ».

Comment la musique vint aux Beatles, fera l’objet d’un futur post

Nous verrons que leurs dernières années de scolarité se recoupent avec leur montée en puissance musicale. Paul rencontrera John, fera entrer le petit George dans le groupe, ils démarreront en jouant dans des clubs et des bars, trouveront des contrats en Allemagne, puis rentrant à Liverpool et cherchant un meilleur batteur que Pete Best, ils croiseront un Ringo déjà batteur professionnel, qui rejoindra ce groupe qui s’appelle déjà The Beatles.

Les enfances des Beatles parlent aux nôtres

C’est donc dans une Liverpool saccagée et à reconstruire qu’ont grandi les Fab Four. Leur volonté, leur état d’esprit, leur énergie et ce qu’on nommerait aujourd’hui leur résilience, leur a permis d’affronter avec beaucoup de maturité un monde auquel ni leurs origines ni leur éducation ne les avait préparé. Les Beatles ont été réunis par des enfances assez semblables, plutôt pauvres et parfois émaillées de vrais drames. Outre leur passion pour la musique et le rock, ces traits communs les ont rendus très proches et ont irrigué leurs musiques, depuis de tendres et nostalgiques ballades jusqu’à des rocks puissants et énervés.

En imprégnant les paroles de certaines leurs chansons de noms lieux et de personnages mythiques ou réels de Liverpool, de Penny Lane à Strawberry Fields Forever, de Lady Madonna à Julia, en passant par Maggie Mae, personnage d’une chanson traditionnelle de Liverpool et prostituée de son état, leur enfance revient souvent dans leurs chansons, avec humour parfois avec tendresse.

Oui, Pete Townshend des Who a raison : si les chansons des Beatles nous touchent c’est aussi parce que leurs enfances parlent aux nôtres.